Concours Général Agricole
Fait inédit, le tribunal administratif de Bordeaux donne raison à l’intraitable Antoine de Corbiac qui mettait en doute l’impartialité du jury de présélection.
C’est en dernier coup d’éclat en date. Et pas le moindre. Le 30 novembre, Antoine de Corbiac, ce vigneron bergeracois qui fait juridiquement feu de tout bois, a obtenu du tribunal administratif de Bordeaux l’annulation du palmarès des vins de Pécharmant (millésime 2011) au concours général agricole de Paris 2014. Motif invoqué pour une première dans l’histoire du fameux concours : l’impartialité du jury de la présélection locale n’a pas été établie.
Conséquence, le château de Tiregand, récompensé pour deux cuvées, et le domaine du Haut-Pécharmant, se voient pour l’heure retirer leurs médailles d’or. Un palmarès dont, on l’a compris, le château de Corbiac était absent. L’affaire aurait pu en restée là et Antoine de Corbiac ravaler son drôle d’ego, lui qui vante son vin à traversla fameuse campagne publicitaire « le meilleur Pécharmant », fort des résultats glanés au fil des années dans le guide Hachette des vins et …au concours général agricole.
Brèche juridique
C’est méconnaissant le vigneron « étonné » de sa non-sélection et s’enquérant aussitôt auprès d’un « laboratoire certifié ». Ainsi, réconforté quant à la qualité du millésime, Antoine de Corbiac s’en va réclamer des explications, d’abord au commissaire du Concours général agricole, ensuite au Ministère de l’Agriculture où il finit par obtenir les attestations sur l’honneur des jurés de la présélection des pécharmants. Y figurent deux viticulteurs de l’appellation et un œnologue qui compte parmi ses clients le château de Tiregand et le domaine de Haut-Pécharmant. Rien de bien surprenant, pour une dégustation à l’aveugle, que de s’appuyer sur les forces vives du cru. Mais il y a là une brèche juridique dans laquelle s’engouffre Antoine de Corbiac et son conseil, l’avocat bordelais Me Hugues de Lacoste Lareymondie.
Si la règle impose que l’organisateur d’un concours place un vigneron à une table de dégustation où son vin n’apparaît pas, le ministère de l’Agriculture, auquel est affilié le Concours général agricole, n’a pas produit de procès verbal attestant de cette précaution devant le tribunal administratif. Surtout, Jean-Marc Dournel, l’œnologue, n’a pas précisé noir sur blanc les liens professionnels qu’il entretenait avec deux des vignerons en lice. « A la question » dans le cas où le juré est lui-même candidat, salarié ou membre d’une société candidate (…), il n’a rien coché du tout ! » triomphe Me Hugues de Lacoste Lareymondie.
« En toute honnêteté »
L’avocat poursuit se démonstration : « qui mieux qu’un œnologue peut au nez reconnaître un vin ? le ministère n’a pas apporté la preuve que ce monsieur n’avait pas dégusté le nectar des producteurs qu’il conseille ».
Un ministère qui a encore un mois et demi pour faire appel de la décision du tribunal administratif. « Elle est à l’étude au niveau du service juridique » indique Benoît Tarche, commissaire général au concours, soucieux de défendre les efforts déployés en matière d’impartialité des jugements (lire par ailleurs). « J’ai dégusté en toute honnêteté et en toute transparence, répond Jean-Marc Dournel. Forcément, il arrive qu’il y ait des clients sur une table de dégustation. Mais je ne connais pas par cœur tous les échantillons de mes clients ou alors j’aurais une mémoire d’éléphant…le jugement me paraît déplacé, c’est la porte ouverte à la mise en cause de tous les concours ».
Même écho chez François-Xavier de Saint Exupéry, propriétaire du Château de Tiregand, de fait privé de sa médaille d’or 2011. « Qui connaît l’art de la dégustation sait très bien que l’on peut médire de ses propres vins. Le tribunal a tranché en termes de droit, mais en terme de dégustation, je défie quiconque de reconnaître ses propres vins dans une série de 30… »
Sans surprise, Antoine de Corbiac ne partage pas cet avis : » je suis capable de reconnaître mon vin. Non seulement il est bon, très bon même, mais il a une typicité : il est sur le fruit. On le vendange en surmaturité : on a un vin plus aromatique et onctueux « . C’est lui qui le dit.
Daniel Bozec – in Sud-Ouest, samedi 17 décembre 2016
« LA PREMIÈRE FOIS »
Commissaire du Concours Général Agricole de Paris, Benoît Tarche se refuse à « rentrer dans le détail » de l’affaire, sinon pour faire remarquer que « c’est la première fois en 125 éditions et 146 ans d’existence » qu’une juridiction administrative annule un palmarès. A noter que le concours délègue depuis 2010 l’organisation des présélections régionales aux Chambres d’agriculture, laquelle en Dordogne s’en remet à la fédération des vins de Bergerac et Duras (FVBD) pour les seuls prélèvements des échantillons. Et Benoît Tarche de souligner « tous les moyens déployés pour sécuriser l’indépendance, l’impartialité des jugements sur un des plus grands concours au monde », accessoirement en saisissant par informatique « l’anonymat des échantillons, des compositions des jurés, l’indépendance vis-à-vis des produits qu’ils sont amenés à déguster, les critères et les commentaires qui ont été portés ».
« Arrêter le délire de persécution »
Satisfait de l’annulation du palmarès, Antoine de Corbiac. Assurément. Mais le vigneron bergeracois ne s’arrête pas en si bon chemin, entrevoyant dans sa non-sélection régionale une mesure de rétorsion consécutive à sa fracassante publicité vantant en 4×3 » le meilleur Pécharmant », lancée à l’été 2013.
« Une campagne pêchue qui avait entraîné une certaine polémique et les bruits de couloir. C’était : » Va falloir le calmer. » « Qu’est ce que c’est que cette histoire ? », soupire en retour François-Xavier de Saint Exupéry, propriétaire du Château de Tiregand, en l’était ex-médaille d’or 2011; » Quand il a fait sa campagne, tout le monde a dit qu’il fallait réagir et on n’a pas réagi. Chacun fait ce qu’il veut… ». Directeur de la fédération des vins de Bergerac et de Duras (FVBD), Pierre-Henri Cougnaud ne feint pas sa lassitude à l’évocation d’Antoine de Corbiac : » je n’arrive pas à comprendre comment on peut bâtir ainsi sa communication. Il faut arrêter le délire de persécution. Il n’y a pas d’entourloupe, pas de gens qui manipulent et c’est pour ça qu’il est allé chercher un détail de l’organisation. J’ai eu la charge de la présélection ( jusqu’en 2010, celle-ci était confiée à la fédération des vins), on peut se regarder dans la glace » assène t-il. » Mise à par la gloriole de gagner un procès, je ne vois pas très bien ce qu’il gagne en termes d’image », s’interroge François-Xavier de Saint-Exupéry. « Mais bon, c’est Antoine, c’est sa façon d’être, contestataire pour tout », raisonne le vigneron. De son jusqu’au-boutisme juridique, l’intéressé fait volontiers un argument marketing: « Le millésime de Corbiac 2011, c’est le vin qu’il faut avoir », conclut crânement Antoine de Corbiac.