Antoine de Corbiac revendique en 4 x 3 le titre de « meilleur pécharmant » dans une nouvelle campagne estivale. Ses collègues en haussent désormais les épaules.
Il persiste et signe. Pour le quatrième été consécutif, Antoine de Corbiac, propriétaire du château du même nom, revendique le « meilleur pécharmant » dans une campagne en 4 x 3 sur fond fluo visible à Bergerac comme à Périgueux. Un « buzz » assumé, comme dit l’intéressé, au risque de ne pas se faire que des amis dans les rangs de vigne.
« Notre star locale », soupire un vigneron de cette petite appellation de vin rouge de garde, porte-étendard des vins de Bergerac avec le monbazillac. Car Antoine de Corbiac use sans complexe de la publicité comparative en fondant son classement sur les douze à quinze dernières années des palmarès du concours général agricole de Paris et du guide Hachette des vins. Du méticuleux décompte des étoiles, coups de cœur et autres médailles, il émarge en tête.
« Je cite mes sources »
« La publicité comparative doit être juste, loyale, vérifiable », expose ce viticulteur de 45 ans, qui a succédé à son père à la tête des 16,5 hectares de vignes après avoir roulé sa bosse « dans le business development pour des start-up » : « Je cite mes sources. Je reproduis les informations publiées par certains sachant que je n’ai jamais fait partie du moindre jury ayant dégusté un vin de Bergerac au guide Hachette ou au concours général agricole, en présélection ou à Paris », défend Antoine de Corbiac, qui confie avoir eu droit à la visite d’agents de la répression des fraudes au cours de sa première campagne publicitaire, à l’été 2013.
Et de renchérir : « Ce n’est pas un comparatif, mais un superlatif. Il n’y a pas de dénigrement, on relate des résultats. » S’il persévère chaque été, quitte à dépenser « entre 20 000 et 40 000 euros » en affichage selon les estimations de ses collègues, c’est que les affaires du château de Corbiac ne s’en portent pas plus mal : « Indubitablement », glisse Antoine de Corbiac. « On a doublé les ventes en grande surface. » Et, dans les restaurants, la progression serait « similaire ».
Indifférence résignée
Aussi avenant soit-il, Antoine de Corbiac recourt à un mode de publicité dont la grande distribution est coutumière, pas le monde de la vigne. N’a-t-il pas les oreilles qui sifflent ? « D’autres disent que j’ai les chevilles qui enflent… », sourit-il du tac au tac, très anglo-saxon dans l’âme, brandissant au passage le concept marketing du « brand awareness ». Ou la « notoriété de la marque » au fondement de toute stratégie commerciale. Il enchaîne : « Ce n’est pas une question d’être méchant, de se faire des amis ou pas, etc. Nous sommes des entreprises. Ça me fait de la peine pour nos sportifs d’entendre la phrase de Pierre de Courbertin, “l’essentiel, c’est de participer”. Il faut gagner, il faut persévérer. »
De fait, à l’irritation suscitée parmi ses pairs lors de la première campagne a succédé une forme d’indifférence résignée : « Au début, ça m’a heurté, j’ai trouvé que c’était arrogant et égocentrique. Au mieux, pas très élégant. Et puis, finalement, s’il a de l’argent à dépenser… », raisonne Gilles Gérault, propriétaire du château du Rooy. « Tout le monde en a pris son parti. ça nous a même amené des clients. Dans son classement, on est bien classé », ajoute-t-il, définitivement philosophe.
« Autoproclamé »
Ancien propriétaire des Chemins d’Orient, un autre domaine du pécharmant, Régis Lansade, l’assure, « personne ne s’en soucie ».
Désormais œnologue, il n’en trouve pas moins à redire sur le supposé raccourci que prend Antoine de Corbiac : « Ce n’est parce que vous avez des médailles que vous êtes le meilleur. Le concours, c’est un instantané. Le même vin, avec les mêmes dégustateurs, le lendemain, ce ne sont pas les mêmes résultats. Antoine de Corbiac a de très belles vignes, un beau terroir, il fait de très jolis vins, mais les concours ne sont pas faits pour identifier les “meilleurs”… Il en a tiré lui-même des conclusions, c’est très osé, mais c’est autoproclamé. » Une bonne connaisseuse du vignoble abonde : « Antoine de Corbiac est intelligent et c’est un excellent marketeur. Tout ce savoir-faire, il le met au service de sa pomme et ne se préoccupe pas de se faire des amis. »
S’il ne partage pas « cette façon de voir les choses dans un milieu où on se rend service », Christian Roche, propriétaire du domaine de l’Ancienne Cure à Colombier, mais qui produit aussi du pécharmant, se dit aujourd’hui, « avec du recul », que l’automobiliste qui croise un de ces panneaux publicitaires « se souvient de pécharmant, pas forcément du château ». Une remarque qui comblerait d’aise le propriétaire du château de Corbiac : « L’approche collective de l’appellation est muette, probablement parce que les subventions ne sont plus. En ce cas, il faut se faire à l’idée qu’il y ait des communications individuelles et singulières. À tout le moins on fait parler de pécharmant, avec un message qualitatif et non pas une approche de réduction des prix », reprend Antoine de Corbiac. Chassez le naturel provocateur, il revient au galop : « Ma plus grande fierté, c’est peut-être d’être le premier vigneron à l’avoir fait en France. Avec le recul, je me dis même que je suis stupide, on a laissé vingt ans à nos concurrents… »
« Il n’y a pas de « meilleur » »
« Vous allez encore lui faire de la pub ? » Paul-André Barriat, le président de l’Interprofession du vignoble, sait que chroniquer les réclames tapageuses de Corbiac, même pour en dire du mal, c’est encore faire parler de lui. Pourtant, la question se pose : pourquoi l’interprofession ne fait rien pour empêcher cette publicité façon supermarché discount, qui rabaisse l’image de tout le vignoble ? Parce que c’est légal. « C’est à la limite, estime Paul-André Barriat. Ce n’est pas vraiment de la publicité mensongère – c’est sur ça qu’il joue, d’ailleurs. C’est un bon pécharmant, c’est incontestable. Et il ne dit pas que les autres sont mauvais… »
Pas un sport olympique
Le vrai souci, c’est la démonstration absurde sur le nombre de médailles. Comme si les autres n’en avaient pas. Et comme si faire du vin était un sport olympique. « Il n’existe pas de “meilleur” pécharmant. Il n’y a pas de concours, pas de hiérarchie. »
Chaque vin est différent, chaque style, chaque vigneron. Barriat est de ceux qui voulaient intervenir contre Corbiac. Mais les vignerons de l’AOC pécharmant ne suivent pas. Et l’image écornée de tout le vignoble ? « Je n’y crois pas trop. Beaucoup pensent que cette pub le décrédibilise, que c’est lui que ça dessert. » Même si c’est encore de lui dont on parle.
Daniel Bozec, in Sud Ouest, jeudi 25 août 2016