Une campagne de pub qui fait tousser dans le vignoble bergeracois
Le château Corbiac qui prétend être « le meilleur » pécharmant : la campagne n’est pas appréciée par tous ses confrères. Mais elle pose la question du marketing viticole local.
«J’assume de dire que je fais le meilleur pécharmant. Et je le revendique », indiquait le vigneron de Bergerac Antoine de Corbiac à « Sud Ouest », la semaine dernière. Des propos tout à fait raccord avec les affiches qui ont fleuri à Bergerac et jusqu’à Périgueux, avec son peu modeste slogan et le nom du non moins modéré site Internet : «Quel est encore et toujours le meilleur pécharmant ? » Le vigneron y publie les palmarès du guide Hachette et du Concours général agricole, où il caracole en tête. Une campagne de pub qui détonne et suscite quelques réactions dans le vignoble périgourdin.
« Je comprends qu’on doive vendre notre vin, mais pas au détriment des autres », résume Gilles Gérault, du Château du Rooy. « On a aussi des récompenses, mais dire que je suis le meilleur, ce n’est pas ma mentalité. » Jean Vallette, au Château Roque-Peyre, ne dit pas autre chose : « On n’est jamais le meilleur. Ça n’a aucun sens, la vigne, c’est un métier d’humilité et je ne pense pas que c’est un élément de communication qui va l’avantager. »
« Très accrocheur »
« Disons que j’aime mieux être le préféré que le meilleur », sourit David Fourtout, l’un des papes du vignoble avec son Domaine des Verdots, à Conne-de-Labarde. « C’est aux autres de juger plutôt que s’autoproclamer. » Pour Vincent Bergeon, le directeur de l’Interprofession du vignoble de Bergerac (le CIVRB), il s’agit de se demander si « ce mode de communication très punchy, qui fait penser à la grande distribution, permet de structurer une clientèle durable… »
Ce dernier rappelle par ailleurs qu’un vigneron, à l’instar d’un chef étoilé, doit travailler sur le long terme. « C’est sûr que c’est très accrocheur », abonde Phillipe Allain, le patron de la Cave de Sigoulès – dont les cuvées sont aussi souvent primées. « Mais il risque de se mettre à dos les autres producteurs de Pécharmant… » Cela dit, de l’autre côté de la vallée, au Domaine du Haut-Montlong, Alain Sergenton ne « critique pas » son collègue : « Il fait parler de l’appellation Pécharmant et c’est une bonne chose. » Fabien Castaing, du Domaine Moulin-Pouzy estime, lui, « qu’on a tous le meilleur vin qui convient à notre clientèle ».
Comment vendre le vin ?
Et pour faire parler de son vin justement, il existe plusieurs recettes. « Je fais les principaux concours pour avoir des médailles et être reconnu du grand public et des professionnels », explique Fabien Castaing. « Et puis je participe aux dégustations organisées par l’interprofession avec les différents journaux spécialisés. Il faut aussi être présent sur Internet avec les réseaux sociaux. »
Gilles Gérault affirme pour sa part n’avoir « aucun budget pub. Je n’ai pas les moyens, je fonctionne beaucoup au bouche-à-oreille. » C’est d’ailleurs sur ce point qu’insistent beaucoup de viticulteurs interrogés : « Aujourd’hui, faire du bon vin, ça ne suffit pas. C’est pour cela qu’on met l’accent sur la qualité de l’accueil au chai », indique David Fourtout qui fait visiter sa superbe cave souterraine. « L’été quand il fait 35° dehors, il fait 25° dans la cave, alors ça marche très bien ! »
Salons et portes ouvertes
Pour promouvoir leur vin, les vignerons utilisent également les salons et des journées portes ouvertes: «Pendant les vendanges par exemple, on montre comment on ramasse le raisin et on pressure à l’ancienne», explique Alain Sergenton qui développe l’œnotourisme. Lui comme David Fourtout organisent repas et casse-croûte où les visiteurs découvrent la vigne, le chai, la cave, puis dégustent le vin accompagné de produits locaux.
« On explique la technique, la méthode, mais aussi l’histoire de la cave et des hommes qui y ont travaillé », ajoute Philippe Allain. « La communication, ça passe d’abord par la bouteille et l’étiquette », indique Vincent Bergeon. Et ça, Jocelyne Pécou (Château d’Elle) l’a bien compris : la vigneronne dessine en effet elle-même ses étiquettes, avec ses « idées de femme vigneronne ». « Les gens voient tout de suite sur la bouteille la femme que je suis. Et ils ne sont pas surpris du type de vin qu’ils trouvent derrière cette belle étiquette. Il me correspond, c’est un vin soyeux et élégant. Le vin, c’est de l’art, c’est une façon de m’exprimer. » En délicatesse, donc.
Antoine Beneytou, in Sud Ouest, jeudi 22 août 2013