Après les rosés et les blancs en avril, les moelleux et liquoreux en juin, les Vins de Bergerac revenaient avec leurs Grandes Cuvées, ce mardi 24 septembre, pour une dégustation parisienne chez Goust, la seconde table d’Enrico Bernardo.
Qui dit grande cuvée dit en général, pour les rouges, des temps d’élevage assez longs (plus de 12 mois) et qui dit élevage, dit barriques (neuves) la plupart du temps. Il n’est donc pas étonnant que la note globale de cette dégustation fut assez boisée pour des millésimes somme toute encore jeunes (2009 et 2010). Car entre les tannins des raisins souvent encore à fondre et le bois des barriques, ce dernier dominait le fruit.
« Le vin doit-il prendre le goût de son contenant ? » C’est la question que pose Antoine de Corbiac, propriétaire du château Corbiac à Pécharmant, rappelant que la barrique servait à l’origine au transport du vin et non à son vieillissement. Et de continuer, « lorsqu’on achète une salade, voudrait-on que celle-ci prenne le goût du sac en plastique dans lequel on la transporte ? » Sous des dehors légèrement provocateurs et à contre-courants, cette question est légitime dans un monde où les habitudes de consommation ont changé et où même des vins, dits de garde, se boivent le plus souvent encore jeunes (dans les 5 ans après leur récolte).
Et, de fait, son vin est à l’image de son discours. C’est en 1981, lorsque son père décide de faire sortir de la cave coopérative pour faire son propre vin que se produit un « accident » qui va devenir la marque de fabrique de ce Pécharmant. Cette année-là, pour les premières vendanges en autonomie totale, on tarde à trouver une remorque et le raisin est récolté en « forte maturité ». Et c’est encore ainsi qu’Olivier vendange aujourd’hui pour laisser une plus grande expression au fruit qu’il veille à ne pas masquer par le bois au vieillissement (moitié en cuve, moitié en barrique).
Mais, les choses se complexifient, une fois que la dégustation se poursuit à table, car un vin tannique en dégustation seule peut s’équilibrer suivant l’accord avec le met comme ce fut le cas pour le château du Rooy – Pécharmant Folly 2009 (40% merlot, 30% cabernet sauvignon, 30% cabernet franc) sur un œuf cuit doucement, crème de farine de maïs, chorizo et artichaut poivrade. Sur ce même plat, Le Vin « selon David Fourtout » Côtes de Bergerac 2010 (40% merlot, 35% cabernet franc, 25% cabernet sauvignon) encore fermé en dégustation seule, s’ouvre, le gras du chorizo mêlé à l’œuf enrobant les tannins. Et sur le plat suivant, une selle d’agneau de Lozère rôtie, risotto de blé et brunoise de légumes, le millésime 2009 du château Corbiac (60% de merlot, 15% cabernet sauvignon, 15% cabernet franc, 10% malbec) plus astringent que le 2010, s’équilibre merveilleusement grâce, cette fois, au gras croustillant de l’agneau. De même, l’extrême densité de matière de la cuvée « Les Filles » du château Le Raz, Montravel 2009 (80% merlot, 10% cabernet sauvignon, 10% malbec) se marie parfaitement à celle des saveur du met.
De l’art difficile des accords qui permettent aux vins de s’exprimer pleinement. Et il faut rendre là hommage à Enrico Bernardo (meilleur sommelier du monde en 2004) ainsi qu’à son chef de cuisine, José Manuel Miguel.
Jean Dusaussoy
in Terre de Vins, 25 septembre 2013