Première annulation de médailles
pour le premier concours des vins français
La procédure est inédite pour le vénérable Concours Général Agricole : autoproclamé « meilleur Pécharmant », le château de Corbiac vient de faire annuler les résultats du palmarès 2014, qui l’a snobé.
« Le résultat du 123ème Concours Général Agricole des vins de Pécharmant, publié le 22 février 2014, a été pris à la suite d’une procédure irrégulière et doit être annulé » tranche le Tribunal Administratif de Bordeaux, dans un arrêt rendu ce 30 novembre. Une première pour le vénérable CGA, qui n’avait jamais connu cet affront en 146 ans d’existence. La victoire n’en est que plus savoureuse pour le château de Corbiac, qui a attaqué le palmarès.
« La justice prouve que nos chances de gagner une médaille n’était pas garantie » exulte Antoine de Corbiac, le propriétaire du domaine. « Il y a des règles, il faut les appliquer » renchérit sa mère, Thérèse Durand de Corbiac. Dans leur attaque du concours du Ministère de l’Agriculture, les plaignants mettent en cause l’impartialité du jury ayant réalisé la présélection régionale de l’appellation Pécharmant en 2014. Etape qui a recalé leurs deux échantillons inscrits fin 2013, qui n’ont donc pu concourir à la finale parisienne (se tenant chaque fin février, à l’ouverture du salon de l’Agriculture).
Jury litigieux
Après le rejet par le ministère de l’Agriculture de leur demande de recours gracieux pour l’organisation d’un nouveau concours, la famille de Corbiac a saisi la justice administrative en 2014. En dénonçant des irrégularités dans la constitution des six membres du jury des Pécharmant. Et plus précisément la présence autour de la table de deux vignerons et un œnologue-conseil de l’appellation. Sur l’air du « juge et partie », la procédure s’est basée sur l’article 147 du règlement du CGA*, qui indique que « nul ne peut remplir les fonctions de membre du jury [s’il doit] examiner ses propres produits ou ceux de concurrents auxquels il est lié à titre professionnel ou familial ». Un argumentaire qui a fait mouche auprès de la justice.
Nous faisons tout pour qu’il n’y ait pas de lien de dépendance »
« Cette décision met un coup de lumière sur l’étape de la préselection, mais au-delà il y a un travail permanent pour apporter les assurances d’indépendance par tous les moyens, du prélèvement chez le producteur à la mise en marché, même à l’export » défend Benoît Tarche, le commissaire général du CGA, qui rappelle qu’il s’agit du plus important concours de dégustation de vins en France (avec 3 600 jurés pour 17 000 échantillons, dont 8 600 dégustés à Paris l’an dernier).
Meilleur Pécharmant
Les services juridiques du ministère de l’Agriculture ont deux mois pour étudier la possibilité d’un appel. S’ils s’en abstiennent, le château de Corbiac demandera à ce qu’un « trou » apparaisse au palmarès de tous les domaines de Pécharmant pour le CGA 2014. Une façon pour Antoine de Corbiac de mettre tous ses voisins à son niveau, lui qui se flatte d’être médaillé chaque année au CGA. Si le vigneron périgourdin a eu le toupet d’être le premier à attaquer le ministère de l’Agriculture sur son concours, il a également eu l’audace de s’octroyer le titre de « meilleur Pécharmant ».
En se basant sur son palmarès au CGA et au Guide Hachette. Cette hardiesse lui a d’ailleurs valu une visite de la répression des fraudes, qui n’avait jamais eu connaissance d’un tel comparatif dans le vignoble français. On ne peut plus procédurier, il a su s’appuyer sur la loi du 18 janvier 1992, pour démontrer que son discours était « loyal et véridique », se basant sur des médailles indiscutables.
« Malgré cette action, il maintient sa participation »
Pour compléter son palmarès, et son discours commercial, Antoine de Corbiac prévoit logiquement de présenter en 2017 ses vins au concours de Paris. « Au moins le château de Corbiac a toujours confiance dans le CGA » note, mi-figue, mi-raisin, Benoît Tarche. Qui rappelle que l’évènement représente un élément clé de commercialisation pour le vignoble hexagonal. « Le problème de cette affaire, c’est qu’une certaine désinvolture dans les pratiques du concours puisse jeter l’opprobe sur son ensemble » prévient Antoine de Corbiac.
* : La démarche judiciaire se base aussi sur l’article 9 de l’arrê;té du 13 février 2013 fixant les conditions d’inscription aux concours vinicoles français, et stipulant notamment que « l’organisateur du concours prend les dispositions nécessaires pour garantir l’obligation d’impartialité qui s’impose à tout membre d’un jury ».
Echos du voisinage Au CGA, « les dégustations sont faites à l’aveugle par des professionnels sur une quarantaine d’échantillons anonymés » rappelle le vigneron Didier Roches, membre du jury de préselection de 2014 et propriétaire du château Haut-Pécharmant, qui a reçu l’une des trois médailles d’or remises en 2014. S’il n’était pas au courant de la décision de justice, il n’a de toute façon plus de vins médaillés en 2014 en stock. Voisin du château de Corbiac, il estime tout en nuance que « tout leur argumentaire est axé sur les médailles. Ils s’autoproclament les meilleurs, mais ils font indirectement parler de l’appellation. »
Alexandre Abellan, in www.vitisphere.com, Mercredi 14 décembre 2016