Le vin qui tient à sa place
Dans les coulisses…
Du château de Corbiac, qui revendique le titre de « meilleur pécharmant »
A l’abri des murs séculaires du château de Corbiac, à Bergerac, la fraîcheur de la cuisine est du meilleur accueil. Dehors, le soleil darde ses rayons sur les 120 hectares du domaine. Au cœur de l’appellation pécharmant, la bâtisse trône fièrement au bout du chemin qui y mène. Ici, les vignes, plantées sur la croupe de la colline, se rapprochent du soleil. Et leur viticulteur, Antoine de Corbiac, veut tutoyer les sommets.
À l’entendre, il les touche déjà du doigt. Depuis quelques semaines, difficile à Bergerac et même à Périgueux de passer à côté de sa campagne de communication. En ville, sur les sucettes publicitaires, « Le meilleur pécharmant » claque au visage des automobilistes.
Osé comme message ? Sans doute. Mais Antoine de Corbiac a des arguments pour le justifier. « Je suis numéro 1 du palmarès du concours général agricole depuis dix ans et de celui du guide Hachette depuis treize ans. En tout, c’est la moitié de ma récolte qui est médaillée. Et pas seulement une ou deux barriques », assure le viticulteur. « J’assume de dire que je fais le meilleur vin de pécharmant. Et je le revendique. » Et de parler de son cru 2010. « Médaille d’or, trois étoiles, vin remarquable et modèle de l’appellation », dit-il les yeux dans les yeux.
Admettons. Mais comment Antoine de Corbiac fait-il pour produire le fleuron d’une appellation extrêmement exigeante ? « Une personne, un savoir-faire, un terroir », détaille le vigneron, fier d’expliquer que le domaine est dans le giron familial depuis 1587. Un domaine qui bénéficie d’atouts naturels non négligeables, tant géologiques que climatiques. « Il y a ici une langue de sable et de gravier en surface. C’est unique sur l’appellation. »
Un terreau dont raffolent, à l’entendre, merlot et malbec. « Et puis, le haut du coteau est balayé les vents. L’humidité d’automne sèche très vite. » Le botrytis, pourriture chérie de Monbazillac, mais abhorrée ici, n’a du coup pas droit de cité. Par conséquent, Antoine de Corbiac a pu privilégier le « roi des cépages », le merlot, celui qui a fait la fortune de Pomerol, par exemple. Il représente 60 % des 16 hectares qu’il exploite. « Tout le travail à la vigne, c’est l’essentiel », martèle Antoine de Corbiac. « Elle a besoin de souffrir. Car plus elle souffre, plus elle s’enracine, plus elle va chercher loin. Alors on ne la gave pas. » Le raisin est alors très qualitatif. Combinée aux conditions naturelles évoquées plus tôt, cette donnée lui permet de vendanger plus tard. Et de pouvoir compter sur une maturation dont il est friand. « On ramasse quand le raisin est prêt à tomber de lui-même. »
Maîtrise de la chaîne
C’est à la fraîche, avant le lever du soleil, que les machines se mettent en branle. Si Antoine de Corbiac intervient dès potron-minet, c’est pour ensuite mieux prendre son temps. « Qui va piano va sano. » Son vin vieillit « dans la quiétude de son environnement ». Tout en gardant la maîtrise de sa production. « Depuis la vendange jusqu’à ce que la bouteille soit vide, il n’y a pas d’élément aléatoire », souligne Antoine de Corbiac. Producteur, il vend aussi son vin. Les étiquettes au profil de Cyrano de Bergerac, c’est lui. La boutique place Pélissière, avec les mannequins costumés qui surgissent des barriques, c’est encore lui.
« Vigneron, c’est drôle »
Mais si la machine semble bien huilée à tous les niveaux, Antoine de Corbiac n’entend pas s’assoupir sur ce titre de « meilleur vin de Pécharmant » qu’il s’est décerné. « Vigneron, c’est drôle, se marre-t-il. Parce que rien n’est jamais écrit. Chaque vendange est différente. » Lui qui aime quand la difficulté s’invite dans le processus. « Les millésimes les plus difficiles sont les plus réussis », assure-t-il. « Et quand tout est facile, maîtrisé, tout le monde y arrive », ajoute le viticulteur bergeracois.
Face à ce succès, pourquoi ne pas produire plus ? « Ce n’est pas en augmentant les rendements que l’on va augmenter la qualité. » Et puis Antoine de Corbiac tient à continuer à intervenir lui-même dans ses parcelles.
Et cette année alors, comment se présente-t-elle, après la grêle du 1er mai annonçant un mois très riche en précipitations ? Il s’avance avec assurance. « 2013 sera moins généreuse que les belles années. J’espère un vin fin, élégant. » Qu’Antoine de Corbiac fera tout pour transformer en bête de concours. De Pécharmant.
Il sourit. « Je reste dans ma classe. Je n’ai pas l’audace de dire que mon pécharmant est meilleur qu’une grande appellation de Bordeaux.
Antoine Tinel, in Sud Ouest, mercredi 14 août 2013